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Leucémies chez l’enfant et allaitement : le point

De nombreuses équipes de chercheurs se sont penchées sur le possible lien entre la prévalence de la leucémie chez les enfants et celle de l’allaitement maternel. Je vous propose un petit point sur la question, axé sur une méta-analyse relativement récente (2015) et complète sur le sujet : il me paraît important, autant que possible de s’appuyer sur un ensemble d’études, évaluées pour leur justesse et leur richesse, plutôt que de raisonner sur des publications prises individuellement dont les résultats sont parfois contradictoires (pour tout un tas de raisons). Ici, le travail de tri est déjà fait avec un nombre de cas bien plus élevé, et les conclusions à en tirer n’en sont que plus fiables.

Les cas
Environ 175000 cancers infantiles sont diagnostiqués chaque année dans le monde (chez les enfants âgés de moins de 15 ans). Les cas restent rares et le taux de guérison n’a de cesse d’augmenter mais cela reste la principale cause de mortalité dans les pays industrialisés pour les enfants de 1 à 14 ans.

La maladie
La leucémie est un cancer de la moelle osseuse qui rend la synthèse de cellules sanguines anormale : il y a alors une production excessive de globules blancs (matures ou immatures) pouvant engendrer une altération de la production de globules rouges (transport d’oxygène) d’où des risques d’anémie et de plaquettes (pour la coagulation) engendrant des risques d’hémorragies. C’est le type de cancer le plus répandu chez l’enfant et son taux d’incidence augmente chaque année (qui s’explique en partie par une meilleure détection).

leukemia
Les globules blancs (lymphocytes, monocytes, neutrophiles) sont en surnombre en cas de leucémie – Les globules rouges (érythrocytes) sont en sous nombre

De nombreuses recherches s’intéressent aux causes de la maladie : événements lors de la vie intra-utérine ou expositions à des agents infectieux viraux. L’hypothèse qui paraît plausible est qu’une mutation génétique s’est produite in utero impliquant une « prédisposition » et qu’ensuite, une exposition à un agent infectieux agit comme facteur déclenchant. Plusieurs observations appuient cette hypothèse : d’une part la concommitance entre les pics d’incidence de la maladie et des infections virales des enfants (entre 2 et 5 ans) – même si concommitance ne signifie pas forcément lien de causalité – et d’autre part les relations assez bien établies entre certains virus et certains cancers. De plus, la leucémie chez l’enfant sévit semble-t-il plus fortement chez les populations immunologiquement naïves.

Lien avec l’allaitement maternel
La méta-analyse dont il est question ici s’est appuyée sur une ensemble de recherches menées sur le sujet entre 1960 et 2014 et publiées dans des journaux à comité de lecture. La durée de l’allaitement est un paramètre pris en compte dans l’ensemble des études. En tout, 17 études cas témoins ont été analysées : dans ce type d’étude, on regarde deux populations (malades et témoins non malades) et on questionne les deux groupes sur leur mode de vie afin de mettre en évidence un facteur ayant pu jouer un rôle dans la survenue de cette maladie. Ces 17 études représentent ici 9650 cas de leucémies et 16526 témoins ce qui est relativement significatif.

L’analyse des données montre une relation inverse (statistiquement significative) entre l’allaitement (d’une durée minimale de 6 mois) et l’apparition de la leucémie durant l’enfance (au-delà de 1 an*). Dit plus clairement : l’allaitement maternel de plus de 6 mois (comparativement à une durée plus courte ou pas d’allaitement du tout) réduit le risque de leucémie durant l’enfance. Selon l’étude statistique faite dans cette recherche, le risque est réduit de 17% (au-delà de 1 an*).
* La leucémie diagnostiquée avant l’âge d’un an est généralement liée à des facteurs de risques prénataux, c’est la raison pour laquelle, ces cas ont été retirés de l’analyse.

Les auteurs ont également cherché à expliquer ces résultats.
Ils expliquent ainsi que le lait maternel est une substance « vivante » contenant anticorps, lactoferrine avec des effets prébiotiques permettant un microbiote « de qualité » (nous en avions parlé ici, et ).
Ils rappellent également que le pH de l’estomac des bébés allaités est optimal pour promouvoir la molécule HAMLET présente dans le lait,  spécialisée dans le déclenchement de la mise à mort de cellules cancéreuses.

hamlet
Hamlet, le serial killer

Enfin, le lait maternel contient des cellules souches aux propriétés similaires aux cellules souches embryonnaires humaines, qui semble-t-il résistent à la cascade de réactions physico-chimiques de la digestion.

Pluripotent stem cells used to generate muscle, blood and neural cells. Digital illustration.
Cellules souches pluripotentes contenues dans le lait maternel. Source

Toutes ces molécules actives et les mécanismes dans lesquels elles sont impliquées, contribuent à protéger l’enfant contre la leucémie, notamment en boostant son immunité donc en abaissant les infections liées aux virus dont le lien avec ce type de cancer est fortement suspecté.

Les auteurs soulignent que ces résultats, bien que fortement intéressants et encourageants doivent pourtant ne pas faire perdre de vue l’existence possible de biais avec ce type d’études : les mères allaitantes pouvant par exemple adopter d’autres comportements par rapport à la santé de leur enfant qui pourrait expliquer les résultats ou bien le fait que certaines études ne distinguent pas allaitement exclusif de l’allaitement partiel ce qui peut fausser les analyses (l’introduction d’autres aliments modifiant le microbiote influe donc sur la mise en place de l’immunité et les conclusions quant au rôle protecteur de l’allaitement montrées ici).

Conclusion
En conclusion, les auteurs retiennent l’idée que les composants du lait maternel (lactoferrine, HAMLET, cellules souches, anticorps…) sont fortement suspectés de jouer un rôle majeur dans la protection de l’enfant contre les risques de leucémie, sous réserve que l’allaitement soit mené pendant 6 mois et cette grande méta-analyse conforte cette hypothèse. Ils ajoutent que cet effet ne fait que se rajouter aux bénéfices déjà établis de l’allaitement maternel,  qui est un moyen simple (à condition d’être bien accompagné) et gratuit de promouvoir la santé des tout-petits. De plus, cela concerne tous les enfants, y compris ceux des pays occidentaux, fortement développés.

breastfeeding

Le prochain article sera consacré aux rôles de la lactoferrine dont on a déjà parlé.

Référence :

Efrat L. Amitay, « Breastfeeding and Childhood Leukemia Incidence : a meta-analysis and systematic Review », JAMA Pediatr, vol 169(6):e151025, (2015)

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