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Des cellules souches dans le lait maternel

Le lait maternel est une substance riche, très riche, un fluide biologique complexe constitué d’une multitude de composants dont on est encore loin d’avoir fait le tour : tant dans la nature de ses constituants que dans les rôles qu’ils peuvent jouer notamment chez le bébé qui en bénéficie.
Il en a souvent été  question sur ce blog. Aujourd’hui, je voudrais encore une fois revenir sur cette thématique en évoquant une étude parue récemment (juillet 2017) dans « Cellular & Molecular Biology Letters ». Il s’agit du bilan d’un travail de synthèse mené par une équipe du département de biophysique et physiologie humaine, de l’université médicale de Varsovie (Pologne).
Les auteurs évoquent les récentes découvertes relatives aux cellules présentes dans le lait maternel. Alors de quelle nature sont-elles ? Quelles sont leurs propriétés ? A quoi servent-elles ?

Quelles cellules présentes dans le lait maternel ?
Elles sont de plusieurs natures.
Tout d’abord, le lait maternel contient des cellulaires immunitaires, notamment des globules blancs, encore appelés leucocytes. Ils ont très longtemps été considérés comme étant les cellules les plus importantes dans le lait maternel (en qualité et quantité). Finalement, il s’avère que les méthodes utilisées pour leur identification à la fin des années 60 n’étaient pas des plus adaptées : en réajustant le tir, avec des moyens plus précis et plus justes, il est aujourd’hui établi que les leucocytes sont minoritaires parmi les cellules présentes dans le lait mature d’une maman en pleine forme (ils sont néanmoins beaucoup plus nombreux dans le colostrum). Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les prendre en compte car  ils jouent un rôle important et sont d’une grande variété (neutrophiles, macrophages, lymphocytes, cellules dendritiques …) [2].

Différents types de globules blancs dans le lait maternel (Ill. P. Baugé)

Les cellules dendritiques repèrent les signaux inflammatoires et initient les réponses immunes. Les lymphocytes produisent des anticorps, et neutralisent des pathogènes. Les neutrophiles (noyau lobé) et les macrophages ont un rôle de phagocytose.

En un mot, ils permettent le développement de l’immunité chez l’enfant. Des études ont montré qu’ils résistent très bien au passage dans le tractus digestif de l’enfant et parviennent dans le système sanguin. Pourquoi et comment ? Les chercheurs supposent que les miARN* présents également dans le lait maternel (nous en avions parlé dans ce précédent article) contribuent à la protection des leucocytes.
Ces derniers agissent de façon directe en luttant contre les pathogènes (la voie de la phagocytose est activée et des macrophages sont impliqués) ou en favorisant la sécrétion d’agents anti-microbiens.

Vous voulez connaître le plus palpitant dans cette histoire ? Certains travaux de recherche sont parvenus [3] à mettre en évidence une augmentation du nombre de leucocytes présents dans le lait maternel dès lors que l’enfant contractait une infection : ainsi se produit une sorte d’ajustement, de régulation qui permet au lait de mieux s’adapter à une situation réelle et contribuer à la récupération !
Il a également été montré que lorsque l’allaitement était exclusif, la teneur en leucocytes était plus élevée [2].
Mais les mécanismes sous-jacents à tout cela ne sont pas encore compris. Dommage, c’est passionnant ! Il faudra patienter.

Enfin en plus de ces cellules de type « globules blancs », des cellules indifférenciées, appelées « cellules souches hématopoïétiques » (CSH), qui sont des cellules immatures, susceptibles de se transformer en cellules sanguines matures sont présentes dans le colostrum. Leurs propriétés, rôles et mécanismes de transfert du sang maternal vers le lait sont encore à explorer.

*(molécules de petite taille -copies non codantes d’un morceau d’ADN- et qui agissent APRES la copie d’un gène en perturbant le messager ce qui perturbe le processus de fabrication d’une molécule)

En dehors des cellules immunitaires, quelques connaissances sur les autres cellules présentes dans le lait maternel commencent à émerger, des cellules qui ne sont pas des cellules immunitaires ou destinées à l’être.

Quelles sont ces autres cellules ? Le lait maternel contient des cellules sécrétrices de lait (les lactocytes), des cellules myoépithéliales (qui se contractent pour éjecter le lait). Cela paraît logique.

Mais il y a une dizaine d’années, d’autres cellules dans le lait maternel ont été repérées. Il s’agit de cellules souches, dont la présence dans le lait maternel a longtemps été suspectée , dans la mesure où les glandes mammaires ont une incroyable faculté d’adaptation et de modification durant la grossesse et la période du post-partum.

La proportion relative entre cellules luminales, myoépothéliales et cellules souches est assez variable, mais elles représentent presque 98% des cellules non immunitaires. Toutes ces cellules se caractérisent par des récepteurs particuliers au niveau de leur membrane : des protéines qui se lient spécifiquement à une molécule cible. C’est ce qui permet de les caractériser et de les reconnaître.

Quelles sont leurs propriétés ?
Alors, que les cellules souches présentes dans le lait maternel soient capables de se différentier et d’exprimer des caractéristiques de lactocytes ou  cellules myoépithéaliales, cela n’est pas tellement étonnant. Mais ce que les recherches ont révélé a de quoi surprendre : les cellules souches issues du lait maternel sont capables d’évoluer et de maturer vers des cellules de la lignée des cellules neuronales !
In vitro, la culture de ces cellules souches (dans un milieu qui convient), conduit à la formation :
– de cellules neuronales  avec leur marqueur caractéristique,
– d’oligodendrocytes (des cellules du système nerveux),
– d’astrocytes (d’autres cellules du système nerveux).

Les différents types de cellules neuronales

A quoi servent-elles ?

Alors, la question se pose. Quel peut bien être le rôle de ces cellules souches dans le maternel, capables de se différencier en cellules nerveuses ? Peuvent-elles se différencier en d’autres types de cellules ?
Les auteurs de l’étude [1] pensent qu’elles pourraient être impliquées dans le développement du système nerveux entérique chez l’enfant : le réseau nerveux du tube digestif (vous savez le 2e cerveau ou « cerveau abdominal ») où des neurones gouvernent le fonctionnement du système gastro-intestinal !

Il existe aussi d’autres travaux (depuis 2012) qui indiquent aussi de façon claire l’existence de cellules souches pluripotentes, c’est-à-dire de cellules souches capables de devenir n’importe quel type de cellules de l’organisme [4].

Stem cells
Cellules souches pluripotentes contenues dans le lait maternel. Source

Des essais in vitro ont montré par exemple que ces cellules souches du lait humain, donnaient des cellules adipeuses, des cellules pancréatiques, hépatiques, neuronales et bien sûr des lactocytes, ou cellules myoépithéliales. Il est probable que ces cellules souches soit celles qui permettent le remodelage du sein, nécessaire pour assurer sa fonction nourricière. Mais les auteurs avancent aussi qu’elles pourraient favoriser la prolifération, le développement ou la régulation épigénétique de certains tissus chez l’enfant. Des études sur la souris prouvent que ces cellules souches issues du lait maternel s’intègrent bien dans les tissus du bébé.

Mais d’où viennent ces cellules souches ?
L’origine de ces cellules a longtemps fait l’objet de débats. De nombreuses hypothèses ont été avancées : par exemple une origine fœtale ! Car oui pendant la grossesse, un processus de double flux migratoire se produit : des cellules maternelles et fœtales traversent le placenta (c’est l’objet du chapitre que j’ai eu l’honneur d’écrire dans ce livre – voir ici). Ces cellules souches d’origine fœtale sont capables de migrer jusqu’aux seins de la mère et y rester un moment pour ensuite passer dans le lait. Finalement, cette piste a été abandonnée car des études ont permis de l’écarter !
Ce qui est par contre beaucoup plus probable, c’est que ces cellules souches sont présentes dans les seins des mamans depuis l’âge embryonnaire : il s’agit très vraisemblablement de cellules souches embryonnaires -et une étude appuie cela- qui ont bel et bien à caractère pluripotent. Les mamans se préparent donc à être des mamans capables d’allaiter et produire un lait « riche » en cellules souches depuis toujours, dès leur existence en tant qu’ « embryons » ! Avouez que c’est tout simplement fantastique !

Conclusion :
Pour résumer cette synthèse, on retiendra que le lait maternel est « riche », unique et adaptable : on ne pensait pas à quel point cela est vrai. Les leucocytes d’une part, qui jouent un rôle fondamental pour la mise en place de l’immunité et d’autres cellules et pas des moindres.
Nous sommes ici en plein cœur des recherches sur le sujet des cellules souches : le travail ne fait que commencer, les études encore trop peu nombreuses. Les marqueurs et propriétés de ces cellules ne sont pas encore vraiment connus. Quels effets et fonctions sur l’enfant allaité ? Quelles paramètres sur la mère et l’enfant jouent sur la composition qualitative et quantitative de ces cellules souches ?
Mais les résultats déjà accumulés montrent, une fois encore, le côté « unique » du lait maternel et son énorme potentiel.

Références :

1- Witkowska-Zimny M., Kaminska-El-Hassan E.,  « Cells of human breast milk », Cellular  Molecular Biology Letters, 22:11, 2017
2- Hassiotou F., et al., « Maternal and infant infections stimulate a rapid leukocyte response in breastmilk », Clinical and Translational Immunology, 2(4): e3., 2013

3- Riskin A. et al., « Changes in immunomodulatory constituents of human milk in response to active infection in the nursing infant. », Pediatrics Research, 71(2):220-5, 2012

4- Reali A. et al.,  « Multipotent stem cells of mother’s milk », Journal of Pediatric and Neonatal Individualized Medicin ;5(1) :e050103, doi: 10.7363/050103, 2016

Illustration de la photo de une :
Stefcomics

6 réflexions au sujet de « Des cellules souches dans le lait maternel »

  1. Les ovules se forment aussi avant la naissance ! Les filles se préparent à devenir mère avant de naître ! La nature est incroyablement belle et extraordinaire !

  2. Bonjour

    En faisant tune recherche sur internet concernant l’allaitement pour un futur billet sur mon blog ; je suis tombé sur votre article, qui est vraiment très bien détaillé, un très bon article, j’ai moi-même écrit un billet plus concis, un billet qui va à l’essentiel et qui pourrait pourquoi pas, compléter votre article, je me permets de mettre le lien en dessous si cela peut aider certaines mamans à ne pas lâcher cette méthode d’allaitement.

    https://www.nappilla.lu/fr/blog/l-allaitement-maternel-oui-non-pourquoi-voici-une-petite-liste-des-bienfaits-n161

    Merci encore et au plaisir de vous lire

    Sandra / Nappilla

  3. Je ne comprends pas car ces cellules sont sûrement digérées par le tube digestif de l’enfant, non ?
    Et si non elles sont reconnues comme du non-soi et détruites par le système immunitaire de l’enfant….
    Comment excluez- vous ces hypothèses ?
    Merci d’avance pour votre réponse, le sujet est patronnant !

    1. Bonjour Sophie. Oui, aussi surprenant que cela puisse paraître, ces cellules souches survivent bel et bien au système digestif de l’enfant et s’intègrent dans les tissus pour une « poursuite » du développement extra utérin, une maturation en quelque sorte. ça secoue pas mal ce qu’on croyait connaître jusque là. Je ne sais pas très bien comment les mécanismes qui permettent tout cela car ces travaux sont encore tout récents et je n’ai pas tout lu, d’autant plus qu’on commence seulement à s »y intéresser de près.
      Mais bon, je peux citer l’exemple des micro-ARN : des chercheurs ont montré que dans le cas de micro-ARN également présents dans le lait maternel , ils sont empaquetés et protégés dans des petits vésicules comportant une membrane lipidique double couche, ce qui les protège de tout attaque digestive !

      1. Merci de votre réponse !
        Et pour votre travail de vulgarisation ! Je suis tombée par hasard sur votre site hier et j’ai lu quasiment tous vos articles dont beaucoup répondent à des questions que je m’en pose depuis longtemps sans que ni les sages-femmes, ni les médecins que j’ai rencontrés ne puissent y répondre.

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