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Evaluations du développement cognitif chez l’enfant

Je reviens aujourd’hui sur mon précédent post  » impact de l’allaitement sur le développement cérébral et cognitif de l’enfant » publié ICI et LA en y apportant quelques compléments en réponse aux commentaires et questions qui ont été formulés. En particulier, en quoi consistent les tests de Qi sur de jeunes enfants ? pourquoi évaluer l’intelligence des enfants ? comment la mesurer de façon fiable ? Enfin, je voulais développer un peu plus une des références utilisées dans le précédent article (l’étude Anderson [a] de 1999, une méta-analyse intitulée « Breast-feeding and cognitive development ») en présentant l’approche qui a été faite.

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Source (clic sur l’image)

Les difficultés à réaliser des tests d’intelligence chez les enfants

Il semble à priori difficile de tester un enfant, notamment un tout-petit (certains tests d’intelligence présentés dans mon précédent article sont même réalisés chez des bébés de quelques mois). En effet,  dans la mesure où l’enfant n’est pas forcément capable de communiquer verbalement, de maintenir son attention ou même de comprendre qu’il est testé, comment réaliser une évaluation fiable ?
Les tests d’intelligence ont donc longtemps été réservés aux enfants scolarisés.
Mais plusieurs psychologues se sont mis en quête de moyens d’évaluation des capacités des tout-petits c’est-à-dire leur faculté à comprendre le monde et à y faire face.

Les différents tests
Toute une série de tests existe (voir liste référence en fin de ce post). Nous passerons rapidement en revue les principaux, ceux notamment utilisés dans les études et méta-analyses évoquées dans le post (recherche du lien entre allaitement et développement cognitif). Ces recherches ont principalement été conduites en Angleterre, Etats-Unis, Australie, Allemagne  Nouvelle Zélande, Espagne.
Citons le test de Bayley (« Bayley Scales of Infant Development »_BSID), le test Peabody (« Peabody Picture Vocabulary Test »-PPVT), le test Mc Carthy (« McCarthy Scales of Children’s Abilities »-MSCA), l’échelle Wechsler (« Wechsler Child Intelligence Scale »-WCIS), l’échelle Standford Binet (« Standford-Binet Intelligence Scale), le test Fagan (« Fangan Test if Infant Intelligence). Les approches sont différentes et ne concernent pas forcément les mêmes tranches d’âge.

Ils sont présentés ici dans l’ordre d’importance décroissante (en terme de fréquence d’utilisation)

L’un des tests les plus fréquemment utilisés est le test de Bayley (lien ici) développé en 1969 par Nancy Bayley. Il concerne des enfants âgés entre plusieurs mois et 3 ans 1/2 et repose sur des échanges et interactions entre enfants et examinateurs (psychologues et pédiatres) spécialement entraînés à faire passer ces tests qui durent entre 45 et 60 minutes. Le BSID évalue 5 domaines de développement (cognitif, moteur, verbal (expressif et réceptif), socio-émotionnel, adaptatif). Le test est complété par des questionnaires pour les parents et soignants permettant d’évaluer le comportement de l’enfant dans les situations quotidiennes.
Les tests proprement dits mettent en jeu des activités et des jouets qui captiveront l’enfant (par exemple chercher des objets cités).

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Un autre test fréquent est  le test Peabody (lien ici) développé en 1959 par Lloyd et Leota Dunn. Le test est donné oralement et dure entre 20 et 30 minutes.  Il est utilisé pour les enfants dans la tranche [2-6 ans]. Il repose sur le choix d’une image à choisir de façon à correspondre à un mot énoncé.
Ce test est utilisé pour évaluer des enfants ayant des problèmes de lecture ou d’élocution, un retard mental ou des enfants en repli affectif.

Le test de Wechsler (lien ICI) a été mis au point en 1967 par David Wechler [4 ans – 6 ans 1/2]. La dernière version date de 2002 et inclut la tranche d’âge [2 ans 1/2 – 3 ans 11 mois]. Dans ce test, la performance verbale  et globale sont évaluées. La performance verbale repose sur une image à pointer selon un mot demandé, et l’enchaînement d’images pour relier des faits. La performance globale consiste en des tests avec des cubes de couleur qui doivent permettre de reproduire un dessin ou construire une représentation. L’évaluation tient compte du nombre de réponses correctes et du temps de réponse.

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Le test de Standford-Binet (lien ici) a été mis au point en 1905 par le psychologue français Binet dans le but d’identifier les enfants présentant un développement cognitif particulier afin de les placer dans des programmes adaptés. L’université de Standford a révisé le test en 1916. Ce test assez complet, dès sa forme d’origine, évalue l’attention, la mémoire, la performance verbale : il se décline en 30 catégories (exercices sur des rythmes, découpage de papier, réponses à une question abstraite, reconnaissance d’aliments, connaissance verbales d’objets, comparaison de longueurs…). Ce test a été utilisé dans l’armée américaine pour le classement des recrues. La 5e édition date de 2003. Ce test essuie quelques critiques car ne permet pas de comparer des personnes de différentes catégories d’âges. Parmi ses utilisations actuelles, citons l’évaluation en neuropsychologie,  dans le domaine de l’éducation, des bilans de carrière…

Le test de Mc Carty a été créé en 1972 par D. Mc Carthy (lien ici). Il concerne la tranche [2-8 ans]. Par rapport aux autres tests (WISC et Standford-Binet), il permet de d’évaluer les différentes facettes qui constituent l’intelligence humaine. Ce test est utilisé dans le cadre de nombreux travaux de recherches (ex: impact d’une supplémentation nutritionnelle, impact d’une pollution ou de la stimulation précoce).

Quid des très jeunes enfants (bébés de 6 à 24 mois)
Pour les très jeunes enfants, l’évaluation consiste à estimer la capacité de mémorisation : pour les psychologues, la mémoire est une image directe de sa capacité intellectuelle. Ainsi, le Fagan Test of Infant Intelligence suit cette approche : des images (en particulier des photos de visages humains*,  assemblées par paire) sont présentées aux enfants à deux reprises. Lors de la seconde présentation, il a été prouvé que l’enfant passera plus de temps sur une image inconnue car stimulante. L’observation des réactions émotionnelles de l’enfant et la comparaison du temps passé sur l’ensemble des images des deux séries permet de déterminer desquelles d’entre elles il se souvient. Bref, un accès à sa capacité de mémorisation.

Ce test confronté à différentes cultures (petits américains, africains) montre qu’il résiste à la notion de culture ce qui tente à prouver sa fiabilité.

* : on sait que les bébés reconnaissent très tôt, les visages humains.

De cette approche, deux questions (personnelles) en découlent.
1- Dans quelles mesures, peut-on relier intelligence et mémoire ?
Pourquoi un lien mémoire_intelligence ? tout simplement parce que la mémoire est définie comme notre capacité à stocker, retenir et retrouver facilement des expériences passées afin de pouvoir résoudre des problèmes, d’appréhender de nouvelles situations. Plusieurs études (réf [b]- [c]) ont effectivement montré un lien entre la mémoire de travail (qui représente notre capacité à apprendre, notre potentiel) et intelligence. L’intelligence  se construit sur la base de la mémoire, c’est donc la capacité de mémorisation qui va se développer en premier dès le plus jeune âge. Des enfants qui ont une faible mémoire de travail auront plus de difficultés d’apprentissage.
Mais d’autres chercheurs rétorquent que cela ne signifie pas qu’ils soient moins intelligents. Effectivement, il n’y a pas équivalence rigoureuse entre mémoire de travail et intelligence : le lien est bien réel mais
 il ne semble pas y avoir consensus sur la nature exacte de la relation entre ces deux aspects.

2- Un enfant passera-t-il effectivement plus de temps à observer un sujet nouveau (car stimulant), ou bien passera-t-il du temps à observer une image qui lui plait ?
Bref, est-ce que ce test est un bon moyen de mesure de la mémoire de travail?
Je n’ai pas suffisamment d’éléments pour répondre mais toujours est-il que d’après la littérature, le test de Fagan donne de bonnes corrélations avec les tests de QI à l’âge plus avancé.

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Lien ICI (clic image)

Pourquoi tester l’intelligence des enfants voire de très jeunes enfants ?
Plusieurs réponses peuvent être apportées. Tout d’abord, non, on ne mesure pas l’intelligence des enfants juste pour faire plaisir aux parents et flatter leur égo.
La première justification est le besoin d’identifier de connaître le potentiel d’un enfant, afin de le faire évoluer au mieux c’est-à-dire dans un contexte suffisamment riche pour atteindre ce potentiel. En résumé, pour développer des talents.
Repérer un enfant doué qui grandit dans un environnement désavantagé, permettra de lui fournir des supports éducationnels nécessaire pour éviter de l’intelligence gâchée.

La seconde justification est de repérer un enfant en difficultés ce qui permettra de le placer dans un programme éducationnel adapté.
Certains tests sont d’ailleurs utilisés dans certaines écoles afin d’établir des diagnostics de déficit de l’attention, d’hyperactivité ou retard de développement intellectuel.

Enfin, ces tests d’intelligence (adultes et enfants) sont utilisés en neuropsychiatrie pour estimer les dégâts cognitifs causés par un choc cérébral.

Retour sur l’étude Anderson [a] : lien entre allaitement et développement cognitif de l’enfant

Dans le précédent article, quelques chiffres issus de la comparaison de tests d’intelligence entre enfants allaités et non allaités ont été présentés. Je souhaitais ajouter quelques compléments sur la nature de cette étude, sur les chiffres avancés, la façon dont elle a été menée .

Petite parenthèse pour rassurer les non allaitantes (que je ne souhaite pas du tout froisser car encore une fois chaque mère fait son choix selon les informations reçues, et conditions socio-culturelles dans lesquelles elle se trouve – voir un précédent article ICI) : l’intelligence d’un enfant est le fruit de facteurs génétiques (l’héritage des parents) et environnementaux (alimentation et stimulation). Donc l’alimentation n’est pas le seul paramètre déterminant.

L’étude d’Anderson [a] est régulièrement citée dans les articles traitant de l’allaitement et de son impact sur le développement cognitif de l’enfant. Pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ? Pourquoi lui apporter plus de poids ?
Tout simplement parce que ce n’est pas une simple étude mais une méta-analyse : c’est-à-dire une analyse combinée d’un grand nombre d’études indépendantes. La démarche statistique qui en découle permet donc d’avoir un regard sur un plus grand nombre de cas, de combiner les résultats, d’avoir une conclusion plus globale et de détecter des biais de méthodes.

Bref, Anderson a essayé de rassembler le plus grand nombre d’études sur le sujet, d’en faire le tri pour essayer de détacher l’effet réel de l’allaitement en isolant les autres facteurs influents. Petit extrait en image du travail de synthèse qui a été réalisé : après ajustement des variables, on obtient une note dite « QI » (voir ci-dessous sa signification réelle) de 3.16 points supérieur chez les enfants allaités (chiffre du bas dans l’image). Globalement si on regarde les autres chiffres, toutes les études obtiennent des résultats homogènes.  NB : Le petit segment représente l’intervalle de confiance de chaque valeur.

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Quelle a été la valeur ajoutée de l’auteur Anderson ? Tout d’abord, les études prises en compte ont bel et bien été triées sur le volet pour leur pertinence : sur les 20 études présélectionnées, 11 ont finalement été retenues. Ces 11 études étaient celles qui avaient réalisé un traitement statistique permettant d’ajuster les covariables ; celles-ci produisent des effets parasites sur le résultat (ex: le niveau d’études de la mère qui biaise l’effet allaitement sur le développement intellectuel de son enfant).

Quelle note (ou QI) est prise en compte ? Anderson a remanié les résultats obtenus par ses prédécesseurs car chacun avait eu recours à un test d’intelligence particulier (en grande majorité, ceux présentés dans la première partie) ce qui, à la base, est plutôt positif (cela permet d’éviter des erreurs d’appréciation liée à un test particulier). Il a donc codé et combiné le résultat de chaque test indépendant de façon à obtenir un seule note par groupe de chaque étude (cette note appelée QI – Moyenne normée à 100) et pouvoir les comparer entre elles. Ce travail de comparaison et confrontation des études a été réalisé sur différentes classes d’âges, différentes durées d’allaitement et différents poids de bébé à la naissance.

En résumé, un gros travail de tri, de traitement des résultats, de confrontation d’études qui n’ajoute que plus de crédibilité à la conclusion : les nutriments du lait maternel contribuent de façon significative au développement neurologique et cognitif chez l’enfant. Cet effet est d’autant plus marqué lorsque les bébés sont de petit poids et  que la durée d’allaitement est longue.

Etudes citées

[a] Anderson JW, Johnstone BM, Remley DT, « Breastfeeding and cognitive development : a meta-analysis », Am. Journal Clinical Nutrition, 1999 ; 70 : 525-535

[b] Cowan N. et al., « On the capacity of Attention : its estimation and its role in Working Memory and Cognitive Aptittudes », Cognitive Psychology, 2005

[c] Cowan N. et al., « Scope of Attention, control of attention, and intelligence in children and adults », Memory and Cognition, 2006; 34(8) : 1754-1768

Pour en savoir plus

http://www.livestrong.com/article/261247-intelligence-testing-for-infants/

http://en.wikipedia.org/wiki/Peabody_Picture_Vocabulary_Test http://en.wikipedia.org/wiki/McCarthy_Scales_of_Children’s_Abilities_(MSCA)
http://en.wikipedia.org/wiki/Stanford%E2%80%93Binet_Intelligence_Scales
http://www.aboutintelligence.co.uk/intelligence-memory.html

Liste des tests
http://psyc.jmu.edu/school/documents/testlist.pdf

6 réflexions au sujet de « Evaluations du développement cognitif chez l’enfant »

  1. Merci beaucoup pour cet excellent article détaillé. Je suis impressionnée par la qualité de vos recherches et sources documentaires. Votre blog est inspirant !

    1. Mille mercis pour ces encouragements.
      N’hésitez pas à partager !
      Je suis passionnée par ce sujet de l’allaitement et je voudrais tellement convaincre un max de mamans, que c’est bon pour tous, et pour longtemps !

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