Résultats d'études·Santé enfant

La bonne odeur d’une maman !

Une question s’est récemment posée à moi à la suite d’une remarque d’une maman non-allaitante qui me disait : « allaiter ou non, c’est bien pareil au niveau du contact mère-enfant et du ressenti du nourrisson, puisqu’une maman câline et pratique le peau à peau ».
Ouaip, je ne suis pas convaincue. Bref, qu’en est-il des odeurs d’une mère allaitante ? Sont-elles perceptibles par tous les bébés allaités ou non ? Ont-elles un effet spécial sur l’enfant ? Si oui lequel ou lesquels ?

Ma première idée fut d’aller rechercher mes propres souvenirs lors des premiers instants, jours, mois de mes 3 bébés … Car oh oui, ils semblaient réellement très accrocs à mon odeur et ne semblaient apaisés que lorsqu’ils tétaient ou que leur nez était collé sur ma poitrine (sans forcément téter). Oui mais voilà, est-ce un ressenti personnel (plus ou moins objectif) ou une généralité reconnue par la science ? Est-ce que des recherches ont été menées sur le sujet et que disent-elles ?

apaisement

Pourquoi se focaliser sur les odeurs ?
Avec le sens du toucher, le système olfactif est le sens le plus mature à la naissance. Pourquoi? parce que c’est un avantage évolutif pour l’ensemble des mammifères. Darwin a d’ailleurs été le premier à relier empiriquement les odeurs de la mère à l’interaction mère-enfant.
Environ 1-2% du génome humain est consacré à la production de récepteurs du système olfactif : c’est dire toute l’importance que revêt ce sens [1] . Le nouveau-né (homme ou animal) est spontanément capable (sans aucune expérience préalable) dans ses premiers jours de vie de détecter et reconnaître l’odeur des mamelons de sa mère afin d’aller téter (question de survie). L’apprentissage de cette reconnaissance olfactive s’est faite pendant la vie intra-utérine [2] et l’odeur des seins de sa mère a un effet attracteur tel une phéromone. Son système olfactif est d’ailleurs capable de détecter des concentrations très basses. [2]
Les auteurs de l’étude [1] concluent (en écho à d’autres travaux de recherche) que de nouvelles connaissances de la physiologie de l’odeur chez l’humain pourront avoir des implications majeures pour des actions thérapeutiques. Notamment pour les enfants prématurés, la stimulation olfactive a permis une nette diminution (de l’ordre de 45%) de l’apnée (avec et sans bradycardie) d’enfants prématurés [3].
De plus, la stimulation olfactive transite par l’amygdale, l’hypothalamus et l’hippocampe, parties du cerveau dont on sait qu’elles font partie du circuit médiateur de l’émotion [2]

Les odeurs de lait maternel et leurs effets

D’après les explications fournies [2], le lait maternel et le liquide amniotique ont la même signature aromatique pour le nouveau né. Les auteurs nous expliquent ce résultat par le fait que le placenta est très perméable aux solutés présents dans le sang, dont la qualité et quantité dépend du régime alimentaire de la mère. Il en est de même pour le lait maternel (composants et goût liés aux produits consommés par la mère).
On apprend aussi que la mémoire des odeurs de la vie gestationnelle est active chez le nourrisson immédiatement après sa naissance et dure plusieurs semaines voire mois. L’existence d’une période sensible (1h après la naissance) pour le développement du circuit olfactif a été démontrée et l’exposition de l’enfant à du liquide amniotique ou du lait maternel est particulière bénéfique [5].
Cette mémoire des odeurs lui permet de mieux s’adapter à sa vie extra-utérine comme s’il y avait continuité entre sa vie fœtale et sa vie de néonatale. ndlr : bref, une naissance « en douceur »

Plusieurs études ont montré que l’odeur du lait maternel pendant un événement douloureux  pour l’enfant (acte médical par exemple) permettait de soulager la souffrance (la douleur était évaluée en suivant des paramètres physiologiques comme le rythme cardiaque, le niveau de cortisol et l’oxygénation du sang) [4]

Cette étude japonaise [4] s’est intéressée à 48 nouveaux nés (28 garçons et 20 filles) en parfaite santé (aucun problème gestationnel ni de complications à la naissance). Trois types de lait ont été utilisés comme stimuli olfactif (lait maternel, lait d’une autre mère, et lait d’une formule commerciale) lors des tests de prélèvements sanguins réalisés à la naissance. L’effet apaisant de la stimulation olfactive ne s’est produite que dans une seule configuration : suite à l’exposition au lait de sa propre mère. Il y a donc un effet de sélectivité. Certains chercheurs l’affectent aux gènes du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), c’est-à-dire un système de reconnaissance propre à chaque individu qui s’exprime aussi dans les odeurs corporelles.

Qu’en disent les principaux intéressés ?
Au-delà des mots, des moyens d’investigation simples permettent de comprendre où va la préférence des bébés. Comment ? Différentes études se sont intéressées à la préférence olfactive des nourrissons (lait maternel, lait de formulation ou solution saline). Le lait maternel a suscité plus d’enthousiasme (mouvements de têtes et activation buccale plus intenses) et cette préférence était indépendante de l’expérience de l’enfant (c’est-à-dire qu’un nourrisson non allaité était aussi attiré préférentiellement par du lait maternel). Le lait de formulation a, pour sa part,  était jugé plus attirant qu’une solution neutre [6] [8]. Ce résultat montre donc que tous les bébés auraient une préférence spontanée pour le lait maternel (ndlr : sûrement un agréable souvenir du liquide amniotique comme évoqué un peu plus haut).

Les odeurs aréolaires et leurs effets
Y aurait-il autre chose au-delà de l’odeur de lait ? Parmi les composés volatiles (donc olfactivement actifs), les plus étudiés sont ceux issus du colostrum et du lait excrété par le mamelon lui-même.
Même si l’anatomie du sein est décryptée depuis fort longtemps, il ne faudrait pas croire qu’il n’est plus un sujet d’étude. Il est vrai que la science croyait avoir bien cerné les différentes parties mais des recherches plutôt récentes (depuis une dizaine d’années) s’intéressent encore à comprendre les différentes structures du sein et leur fonctionnalité pour une lactation optimale et un allaitement réussi [7].

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Source ICI

Les glandes de Montgomery par exemple ont fait l’objet de travaux intéressants. Ces glandes situées sur l’aréole, ressemblent à des petits tubercules. Elles sont formées par association d’unités sébacées et lactifères. Elles se développent pendant la grossesse et l’allaitement.
Il a été montré que ces glandes exocrines émettent des composés volatiles qui activent une réponse comportementale autonome chez le petit humain. Lesquelles et pourquoi ? Une bonne partie de ces composés volatiles sont identiques à celles du lait mais d’autres sont des substances propres à ces glandes (mais on ne sait que peu de chose en terme d’analyse).
L’étude [8] concernait 22 enfants (nouveaux nés) à qui on faisait respirer des sécrétions issues de glandes Montgomery  (et uniquement celles-là donc pas de lait).
Ils en concluent que les glandes aréolaires (en plus de leur rôle lubrificateur du mamelon) interviennent aussi dans la communication chimiosensorielle entre la mère et l’enfant. Elles permettent de réguler les états d’éveil (stimulent l’enfant endormi), stimulent l’appétit, intensifient les mouvements de bouche et de tête et l’activité respiratoire.

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Les odeurs de la mère en général (effet du peau-à-peau)
Est-ce qu’une mère non allaitante prive son nouveau-né de tout cela ?
Non, pas entièrement, heureusement… Il y a des situations où l’allaitement n’a pas pu se faire (raisons physiques, anxiété de la mère, comportement de succion inadéquat du nourrisson, et/ ou mauvaise conduite ou conseils dispensés à la maman). Mais il faut absolument, comme nous le précisent les auteurs de l’étude [2], encourager les contacts peau à peau mère/enfant et éviter de masquer toute odeur maternelle (savon).

Si le peau à peau n’est pas possible pour des raisons médicales, il est également possible d’envisager d’apporter un peu d’odeur maternelle déposée sur un coton.

Conclusion
La situation idéale d’un point de vue stimulation olfactive est de laisser l’enfant s’approcher des seins de sa mère et téter spontanément (ndlr : il y aura un article spécifiquement consacré au breastcrawling). L’un des meilleurs moyens pour lui d’acquérir rapidement l’énergie des premiers instants pour la longue route de la vie.
Au-delà de cette nourriture physique, l’ensemble des articles scientifiques et thèses présentées ici nous prouve que la stimulation olfactive du nouveau né par le contact avec les seins de sa mère, est une véritable nourriture psychologique et émotionnelle (un pont entre sa vie fœtale et sa vie extra utérine). Cette odeur maternelle, il l’aime et la recherche.
Je retiendrai aussi l’impact thérapeutique, notamment pour les enfants prématurés (nette diminution de l’apnée (avec et sans bradycardie) par stimulation olfactive).

Références utilisées

1- Winberg J., Porter R.H.  » Olfaction and human neonatal behaviour: clinical implications » Acta Paediatrica  Vol 87(1) (1998), pp 6-10

2- Browne J. V., « Chemosensory Development in the Fetus and Newborn« , Newborn and Infant Nursing Reviews, Vol 8 (4) (2008), pp 180-186

3- Marlier L., et al. « Olfactory Stimulation Prevents Apnea in Premature Newborns«  Pediatrics Vol 115 (83) (2005)
(en ligne http://pediatrics.aappublications.org/content/115/1/83.full.pdf)

4- Nishita, S. et al, « The calming effect of maternal breast milk odor on the human newborn infant« , Neuroscience Research 63 (2009), pp 66-71

5- Romantshik O., et al. « Preliminary evidence of a sensitive period for olfactory learning by human newborns« , Acta  Paediatrica  Vol 96 (2007), pp 372-376

6- Marlier L., Schaal B. « Human Newborns prefer human milk : conspecific milk odor is attractive without postnatal exposure«  Child Development Vol 76 (2005), pp 155-168

7- D. T. Geddes, « The anatomy of the lactating breast : latest research and clinical implications« , Infant, Vol 3 Issue 2 (2007), pp 59-63

8- Doucet S., Soussignan R., Sagot P., Schaal B., « The secretion of Areolar (Montgomery’s) Glands from Lactating Women Elicits Selective, Unconditional Responses in Neonates« , (2009) PLoS ONE 4(10): e7579
Thèse disponible en français ICI

9 réflexions au sujet de « La bonne odeur d’une maman ! »

  1. un très bon billet, je viens de découvrir l’existence de votre site via Véronique Darmangeat.
    Merci pour ce beau travail et cette noble cause! vive la vulgarisation! 🙂

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