Je viens de recevoir le dernier numéro des Dossiers de l’allaitement (N°104 – Juillet Août Sept 2015), la revue de La Leche League France à destination des professionnels de santé.
L’édito. est signé du Dr M. Pilliot Pédiatre au CH de Tourcoing, président de la CoFam, bien connu pour sa promotion de l’allaitement maternel et du label « Hôpital Ami des Bébés ». Dans cet édito., il dresse une analyse assez détaillée autour de ce label : la naissance du concept, sa mise en place, ses applications, ses implications, les acceptions qu’il revêt. Evidemment, ses propos sont très percutants et justes et je ne résiste pas à évoquer ici ce sur quoi il insiste et vous citer quelques phrases.
Il nous rappelle que le concept est né en 1991, sous sa forme « Baby Friendly », un slogan visant à « propager une idée » et « soutenir une action ». Ce label est surtout répandu dans les pays en voie de développement : dans les pays industrialisés, la mise en place est plus difficile. La France, tout particulièrement, se fait montrer du doigt puisque le premier label n’est obtenu qu’en 2000, et seulement 20 services de maternité reçoivent la distinction en 2014 (24 en 2015…sur toutes les maternités de France c’est peu).
Alors pourquoi cette réticence ?
Le Dr Pilliot rappelle qu’en France, la culture du non-allaitement sévit encore et la séparation mère-enfant est encore une pratique routinière pour des raisons qu’il estime être de l’ordre d’un rituel sécurisant (précision perso : ausculter le bébé sous toutes les coutures, le laver , les gouttes dans les yeux etc.).
Les réticences viennent aussi de la connotation « ami » « cordial » (qui induit l’idée d’ « ennemi » pour les autres maternités) : cette notion ami (contraire d’ennemi) n’existerait pas autant dans d’autres langues, d’autres cultures. Une perception trop binaire selon l’auteur.
Que signifie le label ?
L’idée n’est pas que de prôner l’allaitement : il s’agit de rassembler les conditions optimales pour répondre au mieux aux besoins du nouveau né, ce qui inclut l’allaitement mais au « bon » moment, sans le forcer, en le laissant découvrir tout doucement, à son rythme, ce nouveau monde qui constitue une « rupture » avec sa vie intra-utérine.
Cette rupture sera d’autant plus adoucie qu’il pourra retrouver les sensations grâce à tous ses sens en actions (toucher, ouïe, odorat, vue, goût) : et le peau à peau, contre sa mère, sera le meilleur moyen d’y parvenir.
En posant le nouveau-né contre sa mère, on lui permet de retrouver des sensations qu’il connaît : la chaleur, la respiration et les bruits du cœur de sa mère, son odeur, sa voix. Il va ouvrir les yeux et entrer en relation avec le visage de ses parents…
« Enfin, il va commencer à téter, et il recevra du colostrum qui a, lui aussi, le goût et l’odeur du liquide amniotique
» L’esprit « Ami des Bébés » respecte cette transition fondamentale ».
Comment sait-on tout cela ?
Ces informations m’ont donné envie d’aller un peu plus loin et de rechercher quelques articles publiés sur le sujet : comment et dans quelles mesures a-t-on compris les processus favorisés par le peau à peau mère-enfant dès la naissance ? sur quels paramètres précis repose la connaissance des bienfaits du peau à peau ?
Beaucoup d’études et quelques synthèses ont été publiées sur le sujet. Voici quelques uns des résultats de mes lectures.
Une revue assez complète est parue assez récemment [1]. On y rappelle que des preuves sont effectivement bien établies sur le fait que les bébés en bonne santé, nés à terme, placés en peau à peau sur le ventre de leur mère, sans intervention extérieure (pour la mise au sein par exemple) avaient une transition facilitée de leur vie fœtale à la vie extra-utérine ce qui se traduit par une meilleure stabilité au niveau de sa respiration, la température, le taux glucose, et également moins de pleurs (fréquence et intensité).
Une revue systématique Cochrane de 2012 (le nec plus ultra d’un point de vue rigueur scientifique) [2] a également prouvé que le glucose sanguin était plus élevé chez les bébés en peau à peau et que les pleurs étaient moins longs.
Impact sur le cerveau :
Le cerveau d’un nouveau né manque de myélinisation (la gaine protectrice des neurones) et de développement synaptique. Il a été prouvé que le peau à peau contribue de façon significative à la maturation d’une structure dans l’amygdale, exactement dans la période critique où cela devait être fait. La connection entre synapses est également activée par le peau-à-peau.
« Face-to-face and voice-to-ear communication, eye-to-eye contact, and hand-to-body touch are not just pleasant interactions between mother and baby, but involve active brain development as synaptic connections are formed »
Protocoles dans les maternités
Les publications rendent compte que dans un certain nombre de maternités, les protocoles mis en place font que les soignants s’empressent d’enchaîner les soins autour du bébé ce qui perturbe le peau à peau et le temps nécessaire pour qu’il soit optimisé (favoriser le breastcrawling par exemple).
Mais les choses évoluent : certains peau à peau sont même mis en place après une césarienne. C’est d’autant plus important pour la maman qui n’a pas pu vivre un accouchement par voie basse.
Les anesthésistes sont alors assez souvent surpris de l’impact positif du peau à peau pour la mère après une césarienne : leur état est plus stable (rythme cardiaque, température, tension, température), moins d’anxiété.
Effet sur l’allaitement
La revue Cochrane met également en évidence une meilleure réussite dans la mise en place de l’allaitement avec une tétée plus efficace (meilleurs mouvements de bouche du bébé, excité par l’odeur du colostrum perçue lors du peau à peau).
Bref, vive l’opération de labellisation des maternités « Amies des bébés » et merci au Dr. Pilliot d’œuvrer efficacement dans ce sens.
Références utilisées :
1- Raylene Phillips, « The Sacred Hour: Uninterrupted Skin-to-Skin Contact Immediately After Birth », Newborn and Infant Nursing Reviews, Vol 13, Issue 2, pp 67–72, 2013
2- Moore ER, et al., « Early skin-to-skin contact for mothers and their healthy newborn infants. », Cochrane Database Syst Rev. Vol 16;5, 2012
3- Christensson K. et al, « Separation distress call in the human neonate in the absence of maternal body contact », Acta Paediatr Scand. Vol 84, pp 468-473, 1995
4- Schore A. « Effects of a secure attachment relationship on right brain development, affect regulation, and infant mental health. », Infant Mental Health J. Vol 22:7-66, 2001
5- Bystrova K, et al. « Early contact versus separation: effects on mother–infant interaction one year later », Birth, Vol 36, pp 97-109, 2009
J’adore vous lire! Vos articles sont toujours très intéressants! Merci encore de prendre le temps de partager avec nous, j’apprécie énormément!
merci beaucoup !
Le Dr Pilliot n’est plus président de la CoFAM depuis plus de 4 ans !