Question de choix

Émotions et sentiments dans l’allaitement

Cet espace doit bien contenir une bonne trentaine d’articles sur le sujet de l’allaitement, en balayant moults aspects: les mécanismes mis en jeu, les effets bénéfiques, les données qu’on recherche, les impacts qu’on connaît, ceux qu’on suppose, les difficultés, les remises en question. Tout cela me passionne et profite (j’espère !) à toutes celles et ceux qui comme moi, cherchent à en savoir plus, se posent des questions sur un sujet précis ou simplement veulent se constituer une base de connaissances fiables pour imposer leur point de vue face à des regards désapprobateurs ou des informations erronées.

Mais quand je réfléchis à tout cela (ces heures passées à fouiller, lire, résumer), je pense que l’accent n’est pas assez porté sur les sentiments des mamans … C’est vrai que j’ai parfois entendu ou lu des remarques du genre « Oui, c’est bien beau, tout çà … les études, c’est une chose, mais le jour J, lorsque bébé arrive tout chaud et humide sur votre corps de jeune mère, c’est avant tout une histoire d’émotion ou de sentiment, et rien d’autre ! »
Quand je me penche sur ma propre histoire d’allaitement (notamment pour le premier enfant, lorsque tout commence), le souvenir le plus fort qui remonte à la surface, concerne bien les sentiments forts qui m’ont envahie lorsque j’ai vu mon bébé la première fois : sensations qui ont eu raison des éventuelles hésitations qui auraient pu me retenir d’allaiter.

Ce que je veux dire, c’est que se préparer à l’allaitement, acquérir des connaissances, c’est primordial (notamment dans une culture où le biberon est la norme), cf mon post précédent (« l’allaitement humain n’est pas un automatisme« ) mais le choix, la décision d’allaiter (et la poursuite ensuite), le dernier verrou qui saute au moment où on veut tout donner pour cet enfant, c’est bien le cœur d’une mère qui parle. De même, si une maman ne souhaite pas allaiter, ce qui la retient, ce n’est pas la raison (ou la déraison) mais bien ses craintes, ses sentiments cachés au fond d’elle-même. Bref, j’aimerais bien rétablir l’équilibre et faire passer plus fréquemment des messages relatifs aux sentiments autour de l’allaitement …

La littérature scientifique donne-t-elle suffisamment d’écho au ressenti des mamans dans leur découverte de l’allaitement ? Aborde-t-on suffisamment cette question lorsqu’on parle d’allaitement, ou qu’on souhaite s’y préparer ? Que trouve-t-on comme sentiments exprimés par les mères ? Quel est le poids de la culture sur ces sentiments ? Voilà, je pense un sujet qui aurait fortement sa place dans un séance de préparation à la naissance… pour toucher un maximum de cœurs.

famille

Des émotions positives
Une thèse de doctorat en médecine soutenue en 2013 [2] a été consacrée à l’allaitement long et une bonne partie de l’étude révoque le ressenti des mamans.
Un article paru en 2013 [1] dans Breastfeeding Medicine, retrace les travaux d’une équipe suédoise qui s’est intéressée à la question des raisons profondes qui motivaient les mères dans leur choix d’allaiter. 18 femmes de 3 générations différentes (triades d’une même famille) ont été interviewées.
Il est ressorti de cette étude que la composante émotionnelle des mères allaitantes était très forte :
– une envie instinctive,
– plaisir d’allaiter,
– la satisfaction et la fierté.

Une envie instinctive
La décision d’allaiter était souvent perçue comme instinctive avant la naissance car les mères étaient convaincues du côté naturel de l’acte. A la naissance, cette conviction s’est renforcée chez certaines mères par ce qu’elles ont ressenti physiquement :
– production de lait (colostrum) en fin de grossesse,
– seins qui se sont tendus au moment du premier cri de l’enfant,
– phénomène de breastcrawling (lien ici) de l’enfant qui cherchait à tout prix à téter.
Une fois l’allaitement bien lancé, c’est encore l’instinct du coeur qui guidait bon nombre de mères, motivées par les signes de leur propre corps (seins gonflés, voire tendus, fuites occasionnelles, réflexe d’éjection aux pleurs du bébé)

La joie et le plaisir d’allaiter
Cette joie peut simplement être le plaisir de se retrouver seule avec l’enfant, un moment spécial privilégié où le contact mère-enfant est intense (2].  Mais cela peut aller plus loin. Nous en avions parlé un peu ici (une histoire liée à l’hormone des émotions positives, libérée chez la mère, nommée ocytocine). Comment l’expriment les mères ? Comme le relate, l’article suédois, ce sont des mots et des expressions très forts. Citons-en quelques uns :
–  le « bonheur le plus grand de la vie »,
– un sentiment pour la mère « de donner un sens à son existence » [ « breastfeeding creates a feeling of having arrived in life »]
– une fatigue « douce », « paisible »
– une « communication », une « réelle symbiose physique », « source de plaisir ».

La joie et le plaisir apportés par l’allaitement s’accompagne généralement d’un fort sentiment d’estime de soi (ndlr : ce que bon nombre de femmes, mères manquent à l’heure actuelle) ainsi que la notion d’accomplir une mission importante, une mission qui a du sens. D’ailleurs, certaines mamans ressentent un profond vide au moment du sevrage. Une maman a verbalisé ce ressenti, au moment du sevrage de son dernier enfant, par ces mots (traduction libre) [1] : « je me sentais comme si j’avais été licenciée d’un boulot occupé pendant 30 ans ».
Une autre maman (thèse  [2]) évoque : » Moi, je sais que le premier biberon que je lui ai donné, j’en ai eu les larmes aux yeux »

Les mères interviewées déclarent utiliser cette force du ressenti (allaitement donnant un sens à leur vie), pour gérer tous les moments délicats (fatigue, problèmes pratiques, moments de déception de rater certains évènmeents de leur vie d’avant).
Les auteurs de (1]commentent sur la notion de « sens à la vie » en ajoutant que l’allaitement est pour ces mères un moyen de renforcer leur identité de femme, toute leur vie. Comme l’ont dit d’autres chercheurs, l’allaitement est bien plus que de la simple biologie.

La satisfaction et la fierté
Comme on l’a déjà évoqué, la décision d’allaiter s’inscrit inévitablement dans un contexte socio-culturel. Dans nos sociétés complexes, mener à bien l’allaitement tel que souhaité peut parfois être un beau tour de force, car le chemin est semé d’embûches. D’ailleurs les mères qui décident d’abandonner l’allaitement alors qu’elles voulaient poursuivre, vivent l’expérience de façon assez douloureuse et se sentent très vulnérables et incomprises. Les mamans qui s’expriment sur le sujet [3] ont à la fois du mal à faire face au monde et à s’expliquer sur leurs difficultés.
Bref, lorsque des premières difficultés surmontées (persistance et détermination obligent), le succès est au rendez-vous, il est assez naturel de ressentir fierté et satisfaction. Les mères évoquent  souvent combien il est tentant d’arrêter lorsque d’autres options sont facilement disponibles. C’est là qu’aide extérieure et soutien social ont un rôle clé.

Des émotions négatives, dans quelles circonstances ?
Certaines mamans évoquent parfois des ressentis plus négatifs par exemple lorsqu’elles ne se sentent pas vraiment fraîches (fuites de lait), à l’opposé de l’image véhiculée par la société actuelle (« femme parfaite en toutes circonstances »).
Un autre sentiment parfois évoqué tient au fait qu’elles se sentent un peu prisonnière de leur rôle nourricier nécessitant une présence de proximité 24h/24. « Allaiter, c’est vivre en symbiose en permanence avec son enfant, pendant ses premiers mois ». Il demande donc beaucoup de disponibilité de la part de la mère. [2] Les mères qui le vivent bien sont celles qui ont anticipé la pratique de l’allaitement (tout simplement parce qu’elles ont vu leur mère, soeur ou amie) : c’est l’effet boule de neige del’environnement socio-culturel .

Conclusion
Sur la base de ces retours d’expérience, il est important de souligner que les mamans doivent toutes avoir l’opportunité de vivre ces moments forts : une composante majeure de la pratique de l’allaitement. Cela touche son « moi profond », irréversiblement. Le regard de la société, les discours culpabilisateurs, les mots autour de l’allaitement remettent parfois en cause le bon déroulement de ce développement émotionnel et psychique d’une jeune mère allaitante ! Bref, que certains professionnels de santé relâchent un peu leur pression « de la production de lait insuffisante » et des courbes de poids et qu’ils prennent aussi en considération, les sentiments et l’intensité du lien.

Et vous avez-vous ressenti de tels sentiments forts ?

Un article paru fin 2013 [4], dans « les Dossiers de l’Allaitement » a également fait le tour de cette question.

Références

1- Lööf-Johanson M, Foldevi M, Rudebeck CE., « Breastfeeding as a specific value in women’s lives: the experiences and decisions of breastfeeding women« , Breastfeeding Medicine, Vol 8(1) : pp 38-44, 2013

2- M.L. de Bruyn-Duval, « Expériences de femmes autour de l’allaitement maternel prolongé », Thèse de Docorat, Université de Caen, 2013

3- Schilling Larsen J., « When breastfeeding is unsuccessful – mothers’ experiences after giving up breastfeeding », Scandinavian Journal of Caring Sciences, Vol 27, Issue 4, 2012

4- « Aspects émotionnels de la décision d’allaiter », Les Dossiers de l’Allaitement », N°97, Oct-Nov-Déc 2013, p 23

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3 réflexions au sujet de « Émotions et sentiments dans l’allaitement »

  1. je peux tout à fait m’identifier à tous les aspects positifs apportés dans cet article. mon fils a 13 mois et je continue à l’allaiter, 3-4 fois par jour. ayant eu un démarrage assez difficile (seins trop durs, bébé qui ne prenait pas de poids, sentiment de culpabilité, parfois l’impression de me sentir seule au monde à ne pas savoir quoi faire!!) MAIS avec un Internet, nous pouvons accéder à un tas d’informations aussi bien en Anglais qu’en Français! Y compris des vidéos! Alors OUI! Il faut de la préparation!! Malheureusement, nous vivons dans des sociétés où on ne veut pas souffrir (eh oui! sacré crevasses!! mais on les oublie vite!)… Où l’on recherche des solutions rapides!! Et où l’on ne se fait plus confiance voire même avons perdu ce lien avec cette intelligence qui sont nos INSTINCTs. A vouloir tout intellectualiser, tout contrôler (j’ai entendu des mamans dire: au moins avec un biberon je sais combien il boit!) au lieu de faire confiance à son bébé! Après tout c’est lui qui gère la quantité de lait ainsi que la fréquence. Allaiter est aussi un moyen de créer une relation de confiance avec son bébé. J’ai vite compris que la « prise de poids » n’était qu’un moyen pour les médecins de contrôler la santé de bébé. Mais une maman qui est au quotidien avec son enfant apprend très vite à savoir si son bébé a faim, s’il est malade ou autre… J’encourage toutes les mamans et futures mamans à se faire confiance et à prendre les choses en main.

  2. Ah oui, des sentiments forts, j’en ai ressenti, dans ma courte expérience de l’allaitement! Ce dont je me souvient le plus, c’est quand j’ai dû me résigner à donner son premier biberon à ma fille de deux semaines… Je stérilisais les biberons en pleurant comme une madeleine! (Je n’avais rien stérilisé, me disant que de toute façon, j’allais allaiter!) Finalement, j’ai pris une pause d’un mois (en conservant une tétée le matin seulement), et j’ai réussi à faire un tire-allaitement pendant neuf mois… Mais ce moment, où je sanglotais au-dessus de l’eau bouillante en essayant de ne pas me blesser, je vais m’en souvenir toute ma vie! J’ai encore les yeux pleins d’eau juste en le décrivant sommairement! C’est trèèèèèès émotionnel…

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