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Le « breastcrawling » ou guide de la première tétée

Cela faisait un petit moment que je voulais fouiller le sujet du Breastcrawling. D’une part parce que je trouve cela tellement émouvant (un bébé qui vient juste de naître et qui cherche d’instinct avec force et courage le sein de sa mère) et d’autre part, parce que certaines mamans ne connaissent pas ce phénomène (lors de leur accouchement, on leur a posé l’enfant sur le ventre, tout proche du mamelon, et l’enfant a été aidé par le personnel soignant pour la mise au sein).

De quoi s’agit-il exactement ?
Le nouveau né placé sur le ventre de sa mère juste après la naissance, a le nez à la hauteur des seins, les yeux convergeant vers les mamelons. Il va alors naturellement et spontanément chercher le sein, l’agripper et le masser puis se familiariser en léchant l’aréole et le mamelon, saliver, et téter sans aide (mis à part les encouragements de ses parents). Comme son nom anglais l’indique, il va en particulier, être capable de se déplacer en rampant (Crawl) pour atteindre ce but.
Ce phénomène a été à maintes reprises observé mais il faut parfois laisser les choses se faire et attendre patiemment : ce qui n’est pas toujours compatible avec les soins prodigués par le personnel de maternité. L’intensité maximale de ce comportement se produit en moyenne environ 45 minutes après la naissance mais il peut également se mettre en place très rapidement après 15 minutes par exemple.

Le breastcrawl a été décrit pour la première fois en 1987 par une équipe suédoise (Widström A-M [1])Le choix du terme « breastcrawl » comme nom (et non seulement le verbe) revient à Klaus [2] qui l’a utilisé assez récemment (1998).

Cette étape concerne une très grande majorité de bébés d’après les études d’observations qui ont pu être faites. Cela signifie que le breastcrawling est inné et correspond à une règle de (sur)vie chez l’espèce humaine.

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Pourquoi en sont-ils capables ? Comment font-ils ?
Nous avons déjà évoqué le fait que le cerveau du nouveau né était immature ce qui ne l’empêchait pas d’afficher des performances liées à un pré-câblage inné, notamment celles inhérentes à son système sensitif.

En particulier, le sens olfactif (voir l’article sur l’odeur d’une maman) semble jouer un rôle particulièrement important pour le déclenchement du breastcrawling.

La mémoire des odeurs de la vie gestationnelle est active chez le nourrisson immédiatement après sa naissance. L’existence d’une période sensible (1h après la naissance) pour le développement du circuit olfactif a été démontrée et l’exposition de l’enfant à du liquide amniotique ou du lait maternel est particulièrement bénéfique [3]. L’enfant est guidé par les seins de sa mère qui « sentent bon » le liquide amniotique (ou du moins une signature olfactive identique) [4]. Une signature qui est propre à chaque individu [5].

Le sens de la vue est également actif dès les premières heures. L’enfant adore regarder sa mère et une intense communication via le regard n’est pas chose rare. Les chercheurs ont montré que les bébés sont particulièrement friands de contrastes, ce qui laisse supposer que l’hyper-pigmentation du mamelon est à cet effet très utile pour le repérage (en plus de l’olfaction).

Le sens du goût entre en ligne de compte également. Ceci explique que dans sa quête, le petit « crawler » passe beaucoup de temps à sucer ses mains et doigts : il fait le lien entre les traces de liquide amniotique et les sécrétions des mamelons (et des aréoles).

La stimulation auditive rentre aussi en ligne de compte. La voix de sa mère qu’il a longuement entendue lors de sa vie utérine, il la reconnaît après la naissance et s’en sert de guide dans sa quête du sein (surtout si sa mère l’encourage par des mots tendres).

Au-delà des sens, c’est aussi d’autres capacités qui sont utilisées : des mouvements de bouche, des membres supérieurs et inférieurs et la salivation.
En ce qui concerne ses capacités motrices, c’est grâce au réflexe de marche automatique que le nouveau-né parvient à se hisser vers la poitrine de sa mère en poussant avec ses jambes et pieds sur le ventre de celle-ci. Le mouvement de ses bras et mains permet également d’atteindre son but : il n’est pas rare non plus qu’il masse instinctivement les seins de sa mère avant de téter ce qui aura pour effet de stimuler la production d’ocytocine (travaux de Klaus)

Est-ce utile ? Faut-il encourager cette pratique?
Le peau à peau est particulièrement recommandé pour l’enfant (meilleure régulation de sa température [6], meilleure adaptation métabolique, réussite de la tétée, plus grand confort de l’enfant, moins de stress suite à sa sortie utérine …). Pour le breastcrawling proprement dit, c’est tout le système sensitif du tout-petit qui se met en éveil rapidement.
Chez la mère, ce sont des risques d’hémorragie en moins, une délivrance facilitée, un plus grand attachement à son enfant mais également un meilleur départ pour l’allaitement (grâce à la stimulation tactile par l’agrippement de son enfant qui provoque la libération d’ocytocine [7] : attachement et éjection de lait garantis).
Une séparation d’une durée de 20 minutes (donc à priori court) a montré des effets négatifs sur les points précédemment cités. De nombreux auteurs suggèrent donc de laisser un minimum d’une heure avant de procéder aux soins médicaux (rien de presse). De cette manière, le contact peau-à-peau favorisera le breastcrawling et ses bien-faits.
Durant cette période, le nouveau-né apprend déjà à coordonner les mouvements de ses yeux, mains, bouche autour du mamelon. Il a d’ailleurs été montré que la stimulation sensorielle précoce était particulièrement efficace pour organiser les réseaux de neurones complexes du cerveau [8].
Intervenir de façon trop péremptoire (maintenir la tête de l’enfant et le sein de la mère par exemple) peut au contraire mettre en péril le réflexe de succion, voire créer un sentiment de rejet du sein chez l’enfant.

Et pour les césariennes ?
Une thèse Suédoise de 2012 (M. Velandia, Lien ICI) aborde cette question du peau-à-peau dans le cas d’une césarienne. Elle explique que durant ces dernières années, la césarienne s’est bien allégée, en laissant en particulier à la mère la possibilité d’être consciente et d’assister à la naissance de son bébé. Néanmoins, on constate plus de problèmes de mise en route d’allaitement et d’adaptation mère enfant. Ce qui résulte souvent d’une séparation mère enfant plus fréquente. La doctorante précise que le rôle du père dans le peau à peau peut pallier à l’absence momentanée de la mère. Confirmé par cette étude qui montre que le peau à peau a un véritable effet déstressant, et permet de préparer l’enfant à mieux téter lors des retrouvailles avec sa mère). Voir aussi cet article sur le sein paternel.

Conclusion : Même si l’être humain est une espèce nidicole dont le petit ne peut survivre qu’avec l’accompagnement et les soins de son entourage, un nouveau né n’a – à priori – pas besoin d’aide pour sa première tétée. Il parvient grâce à son programme biologique inné à se débrouiller tout seul, guidé par l’ensemble de ses sens. En ce qui concerne le timing de tout cela, pas de précipitation : il faut laisser le temps aux choses de se mettre en place : un moment chargé en émotions, dans tous les cas!

Et vous, avez-vous pu observer le breastcrawling de votre bébé ? Si oui, quelles ont été vos impressions ? Je vous remercie de me faire part de vos retours d’expérience en commentaire ici pour qu’ils puissent être lus par un maximum de personnes (car les témoignages sont toujours intéressants pour tous…)

Références utilisées
Je recommande la visite du site « Breastcrawl.org », photos étonnantes, émouvantes.

http://www.breastcrawl.org/science.shtml

http://www.breastcrawl.org/pdf/breastcrawl.pdf

http://www.kangaroocareusa.org/uploads/KC_Effects_on_Infant___Mother_Tables.pdf

[1] Widstrom A-M, Ransjo-Arvidson A-B, Christensson K, Matthiesen A-S, Winberg J, Uvnas-Moberg K: « Gastric suction in healthy newborn infants. Effects on circulation and developing feeding behaviour. » Acta Paediatr Scand Vol 76, p 566-572. PubMed Abstract, 1987

[2] Klaus MH, « Mother and infant: Early emotional ties. » Pediatrics, 1998; Vol 102, p 1244-1246, 1998

[3] Romantshik O., et al. « Preliminary evidence of a sensitive period for olfactory learning by human newborns« , Acta  Paediatrica  Vol 96, pp 372-376, 2007

[4] Varendi H., Porter RH.,  « Breast odour as the only maternal stimulus elicits crawling towards the odour source »  Acta Paediatrica Volume 90, Issue 4, pp 372–375, 2001

[5] Schaal B., Marlier R. , « Maternal and paternal perception of individual odor signatures in human amniotic fluid–potential role in early bonding? » Biology of Neonate.  Vol 74(4), pp 266-273, 1998

[6] Widström A-M. et al, « Newborn behaviour to locate the breast when skin-to-skin: a possible method for enabling early self-regulation »  Acta PaediatricaVolume 100, Issue 1, pp 79–85,  2011

[7] Matthiesen, A.-S., Ransjö-Arvidson, A.-B., Nissen, E. and Uvnäs-Moberg, K., « Postpartum Maternal Oxytocin Release by Newborns: Effects of Infant Hand Massage and Sucking » BirthVol 28, Issue 1, pp 13–19,  doi: 10.1046/j.1523-536x.2001.00013.x, 2001

[8] Henry S, Richard-Yris M-A, Tordjman S, Hausberger M, « Neonatal Handling Affects Durably Bonding and Social Development » PLoS ONE 4(4): e5216. doi:10.1371/journal.pone.0005216 , 2009

18 réflexions au sujet de « Le « breastcrawling » ou guide de la première tétée »

  1. Article très intéressant, merci 🙂 – je n’ai pas vu mes enfants ramper pour venir téter, mais ils ont bien dirigé leur tête assez rapidement vers ma poitrine. Dans l’hôpital allemand où j’ai accouché, ils laissent les parents et l’enfant pendant au moins 1h seuls avec lumière réduite dans la salle (enfin à condition que tout se soit bien passé bien sûr). Tous les examens médicaux sont faits après. C’est un moment très privilégié et qui passe bien trop vite!

  2. Mon bébé est né par césarienne donc j’en ai été séparée 2h30 (ils m’avaient un peu oubliée en salle de réveil en plus). Ma fille a fait du peau à peau sur son papa, et elle cherchait à téter effectivement. Heureusement la tétée s’est bien passée quand je l’ai retrouvée 🙂

    C’est touchant de voir des nouveaux-nés chercher le sein de maman et grimper comme ça !

    1. Merci pour ce récit. D’où l’importance primordiale de la présence et de l’action du papa dans ces moments-là ! Cela facilite grandement la transition lors d’une césarienne entre autre !

  3. Je l’ai vécu et ce fut un moment de pur bonheur. Je n’avais aucune idée que c’était un phénomène possible, ce qui m’a d’autant plus surprise et impressionnée. J’ai eu un accouchement très rapide et bébé était vigoureux dès la naissance. Environ 30 minutes après sa sortie, il s’est mis à chercher le sein. J’ai dit à l’infirmière sur place qu’il voulait boire. Elle m’a dit d’attendre. Je ne l’ai pas écouté et mon fils a commencé à boire et je n’ai jamais ressenti de douleurs. J’ai la certitude que c’est lui qui m’a montré comment faire. 15 mois plus tard, j’allaite toujours. Je fais d’ailleurs un témoignage détaillé de ce moment sur le blogue que j’écris avec mon mari : http://www.entreparentheses.ca/2013/06/la-decouverte-de-lallaitement/

  4. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de vivre ce beau moment. Ma fille a fait une détresse respiratoire à la naissance. Ils ont du l’emmener en service de néonat. J’ai vu ma fille pour la première fois 6h après sa naissance (avant ça j’avais des vertiges quand je me levais). L’allaitement a été très dur à mettre en place. J’ai beaucoup souffert, il a fallu attendre que ma fille ai 1 mois et demi pour qu’elle prenne le sein sans souci et 3 mois pour que ça devienne un plaisir … Nous avons arrêté l’allaitement à 15 mois, à la ‘demande’ de ma fille.

  5. Ma première fille est née par césarienne en urgence. J’ai été séparée d’elle plus de deux heures. Pendant ce temps, elle a été placée sur le torse de son papa en étant toute habillée. Malgré cela, elle a perdu son reflexe de succion et a mis presque 48h à le retrouver… L’allaitement a donc difficilement démarré, mais a duré 16 mois !

  6. J’avais entendu parler du phénomène….et je l’ai en partie vécu…c’est fascinant!! La docteur a mis bébé en peau à peau sur moi dès sa sortie. Florence n’a pas pleuré du tout dès sa sortie et ce, pour la 1ère heure entière, elle avait les yeux grands ouverts, elle m’observait intensément, on a vraiment fait connaissance, c’était merveilleux. Elle cherchait mes mamelons et avec une force incroyable elle rampait, se déplaçait, pour les rejoindre…elle était définitivement attirée par eux. Par contre, elle n’a pas tétée par elle-même.

  7. Je n’ai pas eu cette chance , accouchement déclenché, detresse respiratoire et neonat 24h..son papa a fait du peau à peau 1h après , je les ai rejoint 3h plus tard.
    Malgré cela, j’ai pu allaiter mon fils, mon petit battant a eu la force d’arriver a prendre le sein, et avait un reflexe de succion bien présent! (Papa qui l’a fait patienter en lui donnant son petit doigt, peut etre grace a ça?)
    Mon petit garçon a aujourd’hui 6 mois, plein de force, et 100% allaité , pour une durée encore indéterminée…

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